lundi 31 octobre 2016

Regarde le trader tomber - Boris PICANO-NACCI


Quatrième de couverture :

"- Mais alors, pourquoi n'avez-vous pas arrêté, pourquoi avoir continué ?
Je n'ai d'abord pas bien compris sa question. Et puis après, j'ai compris. Il pensait que mon activité, c'est-à-dire la gestion d'un portefeuille de trading pour compte propre, c'était comme le casino. Il pensait que j'étais assis à mon poste comme on est assis à une table de black jack ou de baccara et que je pouvais prendre mes jetons, m'envoyer un dernier whisky, prendre mon cheval et quitter la ville quand j'en avais envie. [...] J'ai mis du temps à prendre conscience que beaucoup de gens pensaient que j'étais pris par la fièvre du jeu. Mais je n'avais pas la fièvre du jeu. J'essayais de garder mon sang-froid. En fait, j'étais plutôt sur un circuit automobile, dans un bolide lancé à trois cents kilomètres-heure... mais dans le mauvais sens.
"

Histoire d'un trader flamboyant qui en l'espace d'une journée va connaître le destin des anges déchus. Récit halluciné de l'une des affaires financières les plus "krachs" de ces vingt dernières années. 751 millions d'euros envolés en moins d'une semaine. Le cauchemar du front-office. Vendredi noir, donc, en ce 10 octobre 2008, où un opérateur de marché trop fougueux signe l'incroyable déroute d'une grande banque française et le début de son propre déclin. Car la faillite de Lehman Brothers, le krach des marchés actions et ce qui deviendra l'une des plus grosses pertes de trading de tous les temps ne sont pas une fin en soi. C'est au contraire le moment où le récit comme la réalité basculent en terre inconnue. La vie privé et l'économie mondiale se font écho dans cette perte de repères, cette descente aux enfers, la première entraînée par la froide mécanique judiciaire, la seconde par la finance mondiale en surchauffe. Dans cette chronique d'une débâcle annoncée, entre autofiction et fable morale, Boris Picano-Nacci brosse la fin d'un monde aliéné tout en se livrant à une introspection à vif, sans fard, émouvante d'honnêteté.

Economie mondiale qui s'affole, système bancaire survolté, amours perdues et amitiés retrouvées, tout ici va très vite, très haut, un peu comme un algorithme financier où se croiseraient l'avidité et la misère, le courage et la vanité.

Un document à l'écriture nerveuse : un anti Loup de Wall Street, paradoxal écho de la vie et des marchés financiers. On suit les événements minute par minute comme si on était dans la tête de l'auteur, les chiffres catastrophiques défilent, et on voit le vertige dans lequel il nous entraîne, depuis le début de la chute jusqu'à la garde à vue, où il tente de rester optimiste et de faire toujours bonne figure. On sent surtout la douleur de voir qu'il emmène sa famille dans son naufrage. Jusqu'à la chute finale, le départ de sa femme.

Né à Lyon, Boris Picano-Nacci a étudié les mathématiques appliquées à l'université Paris-Dauphine. Il intègre la direction financière d'un grand groupe bancaire en 2001 et devient en mars 2006 trader pour compte propre. En octobre 2008, à la suite du krach boursier provoqué par la faillite de Lehman Brothers, le portefeuille de produits dérivés actions dont il est responsable génère une perte de 751 millions d'euros. La justice le condamne à des dommages et intérêts du même montant. Aujourd'hui, il enseigne les mathématiques en école d'ingénieurs et à l'université à Paris. Ce récit est son premier livre.

***

Mon avis :

Pour te la faire courte, Boris Picano-Nacci est à la Caisse d'Épargne ce que Jérôme Kerviel est à la Société Générale. Enfin, pour te la faire vraiment très courte, hein, la vérité est beaucoup beaucoup plus subtile que ça. Mais l'un comme l'autre sont des traders à l'origine de pertes records pour leurs employeurs. Et si le second a été sur-médiatisé, j'avoue, je n'avais jamais entendu parler du premier. Il faut dire que cette histoire a eu lieu pendant la crise de 2008 et qu'il y avait largement de quoi perdre la tête face aux vagues d'informations financières qui s'abattaient sur nous à ce moment-là.

Ce témoignage fort nous offre à voir en quelque sorte l'envers du décor. Il nous propose d'essayer de comprendre comment on peut, en quelque jours, perdre quelques 751 millions d'euros... Une somme vertigineuse pour le commun des mortels.
On est dans le bureau de Boris, chez lui, dans sa tête aussi. Et ces journées de crise enfiévrée parviennent à nous donner à nous aussi le tournis.
Les mécanismes boursiers sont bien sûr évoqués, mais jamais de façon trop absconse, ça ne freine en rien la lecture. Et la façon dont l'ouvrage est rythmé par les dépêches de Reuters concernant la situation de l'économie mondiale ajoute un je-ne-sais-quoi au ressenti que l'on peut avoir : je me suis sentie entraînée avec l'auteur dans son inéluctable chute.

Je n'ai pas trouvé ce livre extraordinairement bien écrit, mais c'est incontestablement aussi ça qui lui donne sa force. En revanche, j'ai été bluffée par la franchise et l'honnêteté du trader, qui a aucun moment ne cherche à minimiser ses actes, allant jusqu'à se montrer jusque dans les recoins les plus détestables de son personnage. Et ça, c'est tellement rare que ça mérite d'être salué.

Quelques jours après avoir terminé ma lecture, je continue de penser que les traders sont des boucs émissaires qui permettent aux établissement bancaires de s'en sortir à moindre frais. On peut difficilement en douter quand on apprend que le verdict de son procès a permis à la Caisse d'Épargne d'obtenir un crédit d'impôts astronomique propre à lui maintenir la tête hors de l'eau... On vit dans un de ces mondes...

Un témoignage sans concession et passionnant.
Sur le même thème, mais en mode fiction, je te recommande aussi les ouvrages suivants :
Comment j'ai liquidé le siècle, de Flore Vasseur
La fortune de Sila, de Fabrice Humbert

Merci à NetGalley et aux Presses de la Cité pour cette passionnante lecture.

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